Au lendemain de sa victoire en Coupe de France Talal El Kerkouri reçoit le journal Al Bayane dans son appartement résidentiel, dans la banlieue chique de la région parisienne. Un large sourire rayonne son visage juvénile. Derrière son regard malicieux, cet homme cache une sensibilité désarmante. Le stoppeur des lions a choisi manifestement le journal Al Bayane pour se confier. Il en a gros sur le cur. A 28 ans, il a envie d’exporter ses ambitions vers un club qui saura exploiter sa fougue et sa rage de vaincre. « J’ai toujours réservé la primauté de mes révélations à Al Bayane » se plaît-il à dire. Pas l’ombre de langue de bois ni d’esquive, droit dans ses godasses. Jugez plutôt.
Question : Durant votre passage au PSG, vous avez été prêté deux fois à l’étranger ? Une fois en Grèce et une autre en Angleterre. Quelle leçon en tirez-vous ?
Talal : Ces quatre années passées dans ce grand club furent, pour moi, une expérience à la fois enrichissante et décevante.
D’une part enrichissante, parce que j’ai appris ce qu’est le professionnalisme ; rigueur, discipline, nutrition, disponibilité avec les supporters et la communication avec la presse. Heureusement que je m’exprime très bien en français ce qui m’a permis de franchir toutes ces barrières avec plus ou moins de difficultés. Autrement cela était dû à un problème de communication avec l’entraîneur. Ce dernier a manqué d’indulgence à mon égard, et préférait plutôt faire jouer des joueurs qu’il a recruté lui-même (sous entendu Luis Fernandez). Vous savez dans une carrière on essaye d’être cohérent compréhensif mais parfois il y a des « imbéciles » qui interviennent et vous empêchent de franchir les barrières.
Cette saison 2003-2004 couronne mes efforts puisque je termine deuxième du championnat et vainqueur de la Coupe de France.
Question : Vous utilisez les termes de « barrières » et de « difficultés » pouvez-vous approfondir ce qui se passe dans ce microcosme ?
Talal : Ces barrières sont claires c’est l’entourage du PSG et pour être plus précis, le racisme, la xénophobie et l’intolérance. Je ne parle pas de ce qui est visible mais de l’invisible c’est-à-dire de l’intérieur. Cela paraît étonnant mais c’est la triste réalité.
Quand c’est Talal El Kerkouri qui commet une faute, elle est tout de suite remarquée, mais quand c’est un blond aux yeux bleus qui en commet plusieurs elle passe inaperçue, est pardonnée par la même occasion c’est dans le cours du jeu. C’est dû à des racistes qui n’aiment pas les Arabes en général surtout les musulmans je tiens à le signaler. J’ai essayé de faire abstraction mais parfois on ne peut maîtriser ses nerfs ! Heureusement le public n’est pas dupe et DEHU l’a appris à ses dépens. Ce dernier a fini par me donner raison mais je reste néanmoins solidaire avec lui pour le reste de l’histoire.
Quoi, qu’il en, soit, je suis fier d’être Marocain, fier d’être Arabe, fier d’être Africain et fier d’être Musulman d’ailleurs vous l’aurez remarqué j’ai brandi fièrement notre drapeau national au coup de sifflet final.
Plus précisément, quel est cet invisible de l’intérieur ?
Talal : A vrai dire ce sont les relations avec Luis Fernandez, quand vous avez devant vous un entraîneur qui ne possède pas cette qualité première qui est l’écoute, qui n’a aucun sens du savoir-vivre, qui est à la fois arrogant et méprisant vis-à-vis de ses joueurs mais aussi vis-à-vis du staff technique. Il nous considérait comme des esclaves et n’a jamais su s’exprimer avec gentillesse. Je n’ai jamais pu admettre ce genre de comportement, j’ai une responsabilité, j’ai ma dignité, on ne quitte pas un club comme le PSG à deux reprises pour des raisons strictement personnelles.
Un autre point sur lequel je souhaiterais m’exprimer, c’est la manière dont les journalistes français m’ont accueilli, ils n’ont pas été tendres avec moi dès le premier jour car je ne voulais ni communiquer avec eux ni transmettre mon n° de téléphone. C’est ma nature, je suis franc, si j’ai quelque chose à dire, je le fais sans aucun détour même si cela devait faire mal au cur, mais au moins la personne sait à quoi s’en tenir. Si j’étais mauvais je l’affirmerais, je ne crains personne, je suis comme ça et je ne changerai jamais.
Regrettez-vous de quitter le PSG ?
Non, pas du tout, je ne resterai pas une seconde de plus dans ce club, je suis même heureux de le quitter, j’ai subi plus de déboires que de bonheur surtout le racisme et le climat malsain. Je n’oublierai jamais ce que j’ai enduré. Ce club est spécial, ce n’est ni Marseille ni Lens, dont les supporters ne sont pas racistes, d’ailleurs je ne veux pas entrer dans les détails je pense que les lecteurs du journal Al Bayane ont compris.
Parmi vos trois entraîneurs successifs, lequel vous a le plus marqué ?
Je pense à Bergeroo et à Vahid Bergeroo est une personne qui respecte le joueur, très sympathique et professionnel par-dessus tout. Quant à Vahid, c’est un bosseur qui aime gagner tout le temps. C’est vrai que lorsqu’on ne le côtoie pas, il donne cette image d’un homme difficile, mais enfin de compte, une fois que vous avez saisi son message et sa façon de travailler vous découvrirez qu’au fond c’est un homme sensible et généreux, en un mot le coach Vahid est un humain.
Au-delà des problèmes bien particuliers du racisme et de la xénophobie dont vous n’êtes pas le premier à souffrir. Avant vous il y a eu Georges Weaha. Quel est le point qui vous a déçu et le plus marqué?
(Sourire) Le jour des matches au Parc des Princes, quand le speaker fait scander les noms des joueurs les supporters applaudissent le nom des blancs aux yeux bleus et ils sifflent les blacks et l’arabe ça signifie beaucoup de choses. J’aurai aimé pouvoir jouer dans ce club avec le public de Lens, ou de Marseille qui ne sont pas racistes, aussi j’aurai aimé que les supporters parisiens me sifflent à cause de mes prestations sur le terrain et non pour mes racines ou à cause de la couleur de ma peau.
Revenons sur Luis Fernandez, et dire qu’il avait failli devenir entraîneur des Lions de l’Atlas, d’après vous aurait-il rendu de grands services au football marocain ?
Personnellement, je ne pense pas, cela aurait été une grave erreur de le recruter, tant mieux qu’il n’ait pas signé, je vous dis franchement il aurait eu des problèmes dès la première semaine connaissant le caractère de l’ensemble des joueurs et connaissant par la même occasion le caractère de Luis Fernandez et la manière agressive avec laquelle il s’exprime. La meilleure option de la FRMF est d’avoir choisi un entraîneur marocain.
L’avenir Talal , tout en connaissant la superstition des footballeurs, avez-vous des contacts précis en France ou à l’étranger ?
Mon souhait est clair et net, je ne souhaite plus évoluer dans le championnat français, c’est sûr et certain de ce côté-là. A l’heure actuelle j’ai des touches en Espagne, en Italie et en Angleterre, mais pour l’instant tant que je n’ai pas signé et je n’en dirai pas plus.
Si on comprend bien, même Vahid n’a pas essayé de vous retenir, cela veut dire qu’il ne souhaitait pas vous conserver dans son effectif pour la saison prochaine. Quelle explication vous-a-t-il donné ?
Je comprends Vahid, il ne va pas prolonger le contrat d’un joueur qui va être sifflé tout le temps sur le terrain, cela aurait des répercussions négatives au sein du groupe et même vis-à-vis de son image, il est intelligent. Mais ce qui me fait rire c’est cette désinformation du journal Le Parisien. Ce sont les dirigeants du PSG qui ne veulent pas prolonger le contrat de Talal El Karkouri, de mon côté, j’en suis très heureux. Il faut savoir que quand un joueur est libre, il est le plus heureux du monde et d’expliquer au peuple marocain qu’un joueur en fin de contrat, c’est lui qui maîtrise sa situation, il est en position de force, il a les cartes en main pour prolonger ou quitter le club, j’ai opté pour la deuxième solution.
Certains journalistes de la presse française ont constaté que vous aviez eu un comportement hautin, arrogant et voir méprisant à leur égard, ceci n’a-t-il pas joué contre vous et de vous donner une image qui n’est pas celle que vous vous prétendez être ?
Avec les journalistes français je n’ai jamais baissé la tête, ni communiqué mon numéro de téléphone. Quand ils me posent des questions, ils me prennent pour un demeuré, soit disant en me posant une question intelligente trois fois mais de manière différente, ils croyaient pouvoir me piéger, en tirant les vers du nez concernant par exemple la composition de l’équipe, sur les tracas quotidiens en somme des informations qui pourraient éventuellement remplir leurs colonnes, mais malheureusement pour eux je ne leur donnais que les réponses qu’ils ne
Souhaitaient pas entendre de ce fait certains journalistes m’ont pris en grippe. Je ne suis pas le genre de joueur qui réclame. Ici ils adorent que ce soit un joueur qui les appelle.
A propos de ce contrat, éclairez-nous un peu plus, est-il vrai que votre ancien club le Raja de Casablanca touche un pourcentage donc des dividendes sur vous et sur chacun de vos transferts pendant tout le long de votre carrière et même lorsque vous êtes en fin de contrat, même s’il n’est pas directement concerné ?
Pour être clair, je n’ai pas signé un contrat directement avec les dirigeants du Raja de Casablanca stipulant qu’à chacun de mes transferts ils toucheront un pourcentage. Mais d’un autre côté, si par exemple il me reste encore un an de contrat avec le PSG et que je suis transféré là, le Raja de Casablanca récupère un pourcentage. Un autre point important vu que je suis en fin de contrat, donc libre, le Raja de Casablanca ne percevra aucun pourcentage sur mon prochain transfert.
Au court du championnat d’Afrique des Nations, de nombreux observateurs, n’ont pas saisi le système tactique de Badou Zaki ? Une fois c’est un 4 4 2 puis 3 5 2. Eclairez-nous sur ces différents bouleversements ?
Je pense, qu’il a un bon effectif, très jeune, la plupart des joueurs possèdent une expérience au niveau européen, de ce fait Zaki a un avantage, il possède des joueurs qui ont avalé différents systèmes de jeu.
Oui, mais là vous ne répondez pas à ma question ? Franchement qui impose le système de jeu est-ce Badou Zaki ou certains leaders comme vous Talal El Karkouri ou Noureddine Naybet ?
Les personnes qui colportent ce genre de balivernes ont tort. Naybet comme moi-même lorsque nous sommes à l’entraînement nous la mettons en veilleuse. Zaki a assez d’expérience. C’est humiliant de dire que ce sont les joueurs qui imposent le système de jeu et voire même la composition de l’équipe.
Lors de la rencontre Maroc-Algérie, vous étiez blessé, le seul but marqué par les fennecs fut à la suite de votre mauvais dégagement de la tête. Pourquoi n’avez-vous pas demandé à sortir ?
Je me suis blessé en fin du match, c’était une contracture iso jambier cela vous empêche même de faire un footing. Le staff médical a tout fait pour que je puisse jouer la finale.
Justement lors de la finale malgré votre blessure, vous avez tenu à jouer, vous vous êtes imposé de force, ne me dites pas le contraire ?
Bien sûr, n’importe quel joueur à ma place l’aurait fait, on ne sait jamais ça peut être la dernière.
Vous avez quand même imposé votre personnalité ?
Il faut savoir que la veille je n’étais pas dans le onze de départ. Badou Zaki m’avait posé la question si je me sentais bien, j’ai répondu par oui.
Vous l’avez joué sur une jambe, alors que vous auriez pu laissé votre place à un autre joueur ?
Je l’ai fait avec l’accord du staff médical.
Propos recueillis par
Mimoun Mehroug
Correspondant permanent
d’Al Bayane à Paris